Langue et république

- France et pluralité culturelle
- Pour un monde pluriel


France et pluralité culturelle

La doctrine jacobine a imposé le français contre les langues régionales, réputées "parlers dégénérés" (sic), et les identités régionales ont été considérées comme dangereuses pour l'identité française à forger. Or, l'identité collective d'un individu peut fonctionner à plusieurs niveaux. Rien n'empêche un Breton d'être Breton et Français et Celte et Européen. Rien n'empêche les citoyens français de former ensemble une communauté politique, un peuple au sens politique du terme, une république, unie, tout en appartenant à des communautés culturelles différentes, à des peuples, au sens culturel du terme, différents. L'erreur fondamentale des Jacobins est d'avoir posé comme principe qu'identité politique et identité culturelle sont une seule et même chose. Or, si vouloir renforcer l'unité politique par l'affirmation et la création d'un ciment culturel commun n'est pas a priori condamnable, bien que la très grande diversité culturelle de la France ne permette qu'un ciment assez "lache", si développer le français comme langue de communication était logique et nécessaire, vouloir créer ce ciment en laminant les cultures régionales est moralement inacceptable. Dans son arrêt déclarant anticonstitutionnelle la Charte européenne des langues régionales, le Conseil constitutionnel parle de "l'unicité du peuple français", preuve flagrante de la confusion entre unité, politique ou culturelle, et unicité politico-culturelle. C'est cette volonté d'unicité qu'il faut refuser, tant elle est dangereuse. Toute uniformisation appauvrit l'humanité, tant il est vrai que c'est de la diversité des cultures que nait la richesse d'une société. De plus, toute uniformisation forcée risque de provoquer, en réaction, d'autres extrémismes.

Au macro-nationalisme français, les défenseurs des langues régionales n'opposent pas un micro-nationalisme régional, un communautarisme porteur de repli sur soi. Le régionalisme est au contraire ouvert et progressiste ; attaché aux valeurs de la citoyenneté, il promeut un bilinguisme porteur de véritable humanisme, de tolérance et de respect de l'autre. Un monolingue ne voit le monde que d'un seul point de vue, d'une seule fenêtre, et a naturellement tendance à considérer celui-ci comme absolu. Un bilingue sait, lui, que toute vision du monde est relative. Ainsi, il sait que les visions du monde des autres peuples sont tout autant valables, et tout aussi relatives, que les siennes. Un bilingue n'est pas un double monolingue. D'autre part, possédant deux systèmes linguistiques, ayant l'habitude de passer de l'un à l'autre, le bilingue authentique apprend plus facilement des langues étrangères, et augmente ainsi encore son ouverture aux autres.

Les défenseurs des langues régionales dont je suis ne visent en aucun cas une quelconque explosion de la France, et à remplacer le français par les langues régionales. Ce serait idiot, dangereux, et de plus contre-productif. Ils souhaitent seulement que les langues régionales - et leurs locuteurs - soient respectées à égalité de dignité avec le français, utilisées en complémentarité avec le français. Les tenants du centralisme jacobin opposent à cela l'égalité en droit des citoyens, prétextant que reconnaître des identités culturelles régionales romprait cette égalité en fractionnant le corps des citoyens. Or, nous l'avons déjà mentionné, communauté politique et communauté culturelle sont des niveaux d'appartenance collective différents. La reconnaissance de communautés culturelles différentes ne change donc absolument rien à l'unité du corps politique, au sein duquel tous les citoyens possèdent rigoureusement les mêmes droits, sans aucune distinction d'appartenance quelle qu'elle soit. L'officialisation des langues régionales sur leur territoire respectif donnerait à tous les citoyens le même droit, celui de voir leurs langues pratiquées, diffusées, enseignées. Quant au risque de commuutarisme, de nationalisme régional, s'il existe chez certains, ce qui est fortement regrettable, ce n'est qu'en réaction à l'oppression centraliste. Et s'agissant d'un risque de "balkanisation", il ne s'agit que d'un pur fantasme ; je n'ai jamais eu connaissance de Bretons se livrant à des pogroms anti-Normands, ni de Gascons cassant du Limousin.

Les défenseurs des langues régionales dont je suis ne visent pas non plus à saper la notion même d'État. Ce qui est en cause, c'est l'État-nation, l'État qui lie de façon absolue citoyenneté et nation, qui feint de croire qu'un État ne peut être multi-culturel, qu'une nation sans État est une nation incomplète, qu'une frontière enferme une réalité absolument identique et sépare deux réalités absolument diffférentes, qui nie les continuités, les nuances, les variations, qui tente de faire croire que la zones colorées sur les cartes, séparées par un trait, sont définitives et absolues. Mais l'État, garant de l'égalité des citoyens, des libertés individuelles et collectives, organisation de la société permettant la prise en compte des intérêts de tous et de chacun, proclamant l'inaliénabilité et l'intangibilité de la chose publique, de la république, n'est pas remis en cause, sachant que ce qui est important, c'est que cette république soit réellement assurée, et que, s'il faut pour cela que l'État territorial délègue ou transfère certains domaines de sa souveraineté aux régions ou à une union d'États, ces délégations ou transferts doivent avoir lieu. La réalité de la république est plus importante que son lieu.

Je suis par ailleurs convaincu que plus le gouvernement est éloigné des citioyens moins il peut être démocratique, qu'un parlement composé de 500 personnes ne peut pas réellement représenter plusieurs millions de citoyens, d'autant plus quand aucun mécanisme de contrôle démocratique n'est prévu et que la représentation repose de fait sur des bases sociales. Il faudrait ici évoquer le discours de Sieyès du 7 septembre 1789, la montée de la bourgeoisie en tant que classe sociale dominante, etc. Mais ces questions ne sont pas directement liées à celle qui nous concerne ici, et nous n'irons donc pas plus loin sur ce terrain. Fermons cette digression et revenons à notre sujet.

Dans cette logique, la citoyenneté française, et non pas la nationalité française, signifie l'appartenance et l'adhésion à une seule et unique communauté politique, c'est à dire la République française - ce qui ne remet pas en cause la possibilité pour un citoyen français d'appartenir en même temps à d'autres communautés politiques, qu'elle soit communale, régionale, européenne, par l'appartenance à une culture, à une communauté culturelle, dont le territoire appartient à la République française. Tout citoyen français doit avoir un certain nombre de droits liés à son appartenance culturelle régionale, et toute communauté culturelle régionale doit avoir collectivement des droits linguistiques et culturels.

Autour de nous, l'Italie laisse libre cours à ses culture régionales ; sarde, napolitain, génois ou provençal sont parlés quotidiennement, dans un bilinguisme italien-langue régionale décontracté. Les délires de la Lega Nord de Umberto Bossi, motivés par des raisons tout autant, sinon plus, économiques que culturelles, sont très largement minoritaires. Galicien ou basque s'épanouissent dans l'Espagne des Autonomías, les Pays-Bas font du frison la langue officielle de la Frise au côté du néerlandais, bref, l'Europe vit au rythme de ses différences culturelles. Chers amis Jacobins, pensez-vous que votre France centraliste soit seule à connaître les délices de la vrai démocratie ? Ouvrez donc les yeux, vous qui êtes les premiers à défendre les langues minoritaires lorsque c'est le français qui est en question, comme au Canada - qui, soit dit en passant, accorde au français du Québec un statut officiel très protecteur, vous qui êtes les premiers à réclamer une Europe multilingue, français-espagnol-italien-allemand-anglais-etc., à juste titre, d'ailleurs, soyez logiques, ne défendez plus ici ce que vous réprouvez ailleurs.

Et rétablissez les faits historiques. Le rex francorum n'était à l'origine qu'un chef de tribu, et non un prince territorial. Mérovingiens et Carolingiens, qui ne furent jamais roi de France pour la bonne et simple raison que la France n'existait pas encore, ont dominé d'autres peuples en gardant le titre de roi des Francs. Leur conception du pouvoir était toute germanique, et le regnum considéré comme un bien privé ; toute notion de res publica leur était étrangère, y compris après que Charlemagne a été couronné empereur. Les légistes ayant préparé le couronnement impérial de Carolus Magnus voulaient rétablir l'Empire romain. Charles n'a jamais été en mesure de comprendre ce projet, ni a fortiori de le réaliser. Marquis de Neustrie puis duc des Francs ou de France, les capétiens disputèrent aux Carolingiens le titre de roi des Francs. Ils sortirent vainqueurs de cette lutte en 987. Établi entre Loire et Somme, le duc de France était avant tout un prince territorial comme l'étaient duc d'Aquitaine, comte d'Anjou ou autres. La région qu'il contrôlait était centrée sur Paris, et était, avec la Champagne, la seule région que les Francs aient réellement colonisée. Leur titre de roi des Francs n'était alors qu'une coquille vide, mais qui leur donna sur les autres princes territoriaux une distinction spirituelle supérieure, sacrés à Reims qu'ils étaient. De la fin du Xème au début du XIIIème siècle, le mot France ne désigne que la seule région allant de Bourges à Compiègne, une des régions issue de l'effondrement de l'empire Franc. Au début du XIIIème siècle, Philippe II Auguste annexa la Normandie en battant Jean sans Terre, et changea son titre de roi des Francs en roi de France. Ses fils et petit-fils, Louis VIII et Louis IX, conquirent et annexèrent le comté de Toulouse. De simple principauté territoriale, la France devint en 30 ans une puissance impériale, et le nom de France allait progressivement désigner l'empire français, l'ensemble des régions et cultures placées sous la domination de ce que l'on appellera désormais Ile-de-France. L'historiographie française va se charger de falsifier la présentation de ce déroulement. Elle va vouloir justifier les conquêtes militaires, les captations d'héritage, les exactions. Elle va inventer le terme de "retour à la couronne" pour qualifier les annexions réalisées par la France. Pour ce faire, il lui faut donc dire que la France est autre chose que ce qu'elle est. Alors, sous la plume d'habiles truqueurs, les Carolingiens, et avant eux les Mérovingiens, deviennent ce qu'ils ne furent jamais, roi de France ; alors la Gaule, sous prétexte que son extension territoriale correspond grosso-modo aux 2/3 de l'actuelle France, devient l'ancien nom de la France, et les Gaulois deviennent nos ancêtres, ce que ni l'une ni les autres ne furent non plus. Il n'existe aucun lien  d'aucune sorte entre la Gaule et la France, les Gaulois ne sont pas nos ancêtres, et les royaumes Francs ne sont ni les continuateurs de la Gaule, ni l'annonce de la France. Il n'y a aucun "retour" à la couronne qui tienne. Nos alertes plumitifs ont également tendance à truquer les cartes. Ainsi, appliquent-ils les frontières de XXème siècle à une carte représentant une réalité du Xème ou du XVème siècle, ainsi dit-on que les Papes siégèrent en France, à Avignon, ce qui est faux, puisque le Comtat venaissin n'est devenu français qu'en 1790, les Papes siégeaient à Avignon dans un État indépendant. Tout ceci afin de justifier l'impérialisme français. Il n'est bien entendu pas question de vouloir revenir en arrière, j'ai dis plus haut qu'il ne s'agissait pas de faire exploser l'actuelle France, et je maintiens ces propos. Il s'agit simplement de rétablir certains faits. Oui, la France est le résultat d'une politique impériale, oui, l'historiographie officielle française est mensongère, oui, le centralisme français a voulu détruire toutes les cultures qu'il avait annexées, oui, la France est le pays européen qui connaît sur son sol la plus grande diversité culturelle, et est le seul a vouloir la laminer.

Quant à la Gaule ancêtre de la France, quant à Vercingetorix premier héros national, c'est une ânerie inventée par la Troisième république qui, après la déroute de 1870 et la désignation de l'Empire allemand comme "ennemi héréditaire", ne pouvait ni admettre la diversité culturelle du territoire français ni assumer la partie germanique des origines de la France pourtant née des Francs, surtout pour la moitié nord du pays, moins romanisée auparavant et justement région d'installation des susdits Francs. Il est d'ailleurs frappant de voir que, dans les manuels scolaires d'aujourd'hui, les cartes de la Gaule romaine sont fausses, puisqu'elle montrent de façon quasiment systématique une Gaule composée des Trois Gaules, l'ex-Galue chevelue, et de la Narbonnaise. Cet état de fait n'a pourtant jamais existé. Mais de cette façon les élèves ont devant les yeux une Gaule qui peut ressembler à la France actuelle. Il est d'ailleurs très intéressant de voir comment la romanisation d'abord de la Gaule cisalpine, devenue dès Octave Auguste le nord de l'Italie, puis de la Narbonnaise, l'ex-Gaule transalpine d'avant la création de la province romaine, puis de l'Aquitaine, la plus méridionale des Trois Gaules, puis du nord de l'ex-Gaule chevelue, là où les Francs s'installèrent ensuite, se retrouve dans les langues romanes ; dialectes italiens septentrionaux diférents des dialectes italiens centro-méridionaux, langues d'oc mais différentes du provençal au gascon, langues d'oïl - sans parler des "effets de marge", basque, breton, etc.

La reconnaissance des langues régionales est pleinement compatible avec la république, avec les valeurs d'égalité en droit, et est une condition nécessaire à une véritable démocratie respectant pleinement les droits de l'homme.


Pour un monde pluriel

L'évolution technique dont le XXème siècle a été le témoin à bouleversé notre cadre social. Il faut aujourd'hui moins de temps pour faire Lyon-Le Cap ou Lyon-Auckland qu'il n'en fallait il y a un siècle pour faire Lyon-Marseille. Cette mondialisation des échanges humains est un fait. Mais, tout comme la langue d'Esope, elle peut être la meilleure ou la pire des choses. L'uniformisation culturelle, la disparition annoncée d'une majorité des milliers de langues aujourd'hui parlées, le règne du tout marchand, les intérêts privés de quelques-uns érigés en schéma d'organisation politique de la société en lieu et place de la république, c'est à dire des intérêts communs, de la loi de et pour tous, consommer comme unique projet de vie, enrichir les plus riches comme unique projet de société, voila la mauvaise mondialisation, celle de l'OMC, des organismes génétiquement modifiés commercialisés avant toute étude clinique et de tous les ultra-libéraux, pseudo-libéraux en réalité. (L'authentique libéralisme protège la concurrence, s'oppose à la constitution de monopole, etc.) Cette mondialisation qui nie ce qui fait la richesse de l'humanité provoque en réaction d'autres intégrismes, repli sur soi par peur ou dégoût de cette globalisation. Pour répondre à ces deux extrémismes, toute solution qui ne prend pas en compte la réalité de l'humanité, qui ne prend pas en compte que l'égalité en droit et en dignité des individus et des cultures a nécessairement comme corollaire que tous les individus et toutes les cultures sont différents (nous sommes, individuellement et collectivement, égaux en droit parce que différents ; si nous étions tous identiques, nous n'aurions pas besoin de proclamer l'égalité en droit et en dignité, nous serions tout simplement égaux parce qu'identiques) est condamnée à l'échec. C'est à chaque culture, à chaque civilisation, de mettre en place, en fonction de ce qui lui correspond socialement et culturellement, le meilleur système politique possible, dont le but, en revanche, ne peut qu'être le même pour toute l'humanité.

Cette mondialisation des échanges signifie aussi que, d'un strict point de vue pratique, les États de la taille de la France, du Royaume-Uni ou de l'Italie ne peuvent plus être efficaces pour imposer le contrôle démocratique. La Fédération européenne doit se faire, elle est une nécessité. A elle la défense, la politique économique - il faut une vraie politique économique, l'indépendance de la B.C.E. est une stupidité, les affaires étrangères, la définition des grandes orientations. Aux Etats membres et aux régions (autonomes, les régions) politique sociale, justice, aménagement du territoire, gestion de l'environnement, affaires culturelles, éducation. Cette Fédération Européenne doit être le contraire de l'U.E. actuelle. Les minables bureaucrates à la vision étriquée, qui ne pensent qu'à tout calibrer, tout régimenter (une des récentes nombreuses stupidités de ces technocrates bornés, tous les bancs sur les marchés doivent dorénavant avoir une vitrine réfrigérée ; que devient le petit producteur qui vends quatre - vrais ! - poulets et cinq lapins ? , il n'a plus qu'à disparaître, pardi, pendant que les gros industriels peuvent continuer en toute impunité à s'enrichir grassement en vendant, par exemple, du chocolat fabriqué sans le moindre gramme de cacao, parce que ça, la commission de Bruxelles l'autorise, ces gens là pensent vraiment à l'envers), et qui dans le même temps bradent toute notion de service public, vendus qu'ils sont aux intérêts financiers des tenants du capiralisme libéral, doivent disparaître au profit d'une Europe véritablement politique, protecteur du bien commun, et qui laissera aux régions le soin de s'occuper de la taille des tomates.

Fédération ou confédération européenne, certes, mais laquelle ? Il existe une opposition fondamentale entre une Europe méditerranéenne, grecquo-latine, où l’État est essentiel, et une Europe anglo-saxonne, protestante, libérale et capitaliste, où l'initiative privée prime, où l’État est "léger". Pour ne prendre qu'un exemple, la colonisation française, espagnole ou portugaise fut l’œuvre des États royaux, pendant que VOC et BEIC colonisaient à titre privée. Il me prendrait trop de place d'analyser parmi tant d'autres exemples les républiques italiennes, Gènes ou Venise, face à la féodalité capétienne, champenoise ou angevine, les différents stades de la romanisation, etc.

Égalité en droit et en dignité de tous les individus, égalité en droit et en dignité de toutes les cultures, respect des différences individuelles et collectives, société organisée et gérée dans l'intérêt commun et pour le bien de tous.

Date de dernière mise à jour : lundi, 20 février 2023