- Les dialectes du provençal
- Nissart et vivarois
- Phonétique du provençal
- Graphie du provençal, et petite critique de la graphie du français
- Esprit du provençal
- Extraits de textes
La présentation qui suit s'appuie notamment sur le livre Parlons provençal, de Philippe Blanchet, éditions L'Harmattan, 1999. L'internaute intéressé par une description plus complète et détaillée que celle qui suit s'y reportera fort utilement.
Les dialectes du provençal
Le provençal est une langue romane de la famille des langues d'oc. Il est issu de l'évolution du latin populaire, et est parlé sur un territoire qui déborde de celui de la Provence historique et culturelle proprement dite. Comme toute langue, le provençal est dialectalisé.
- Le rhodanien (prouvençau roudanen) est parlé dans les parties occidentales des actuels départements du Vaucluse (Vau-Cluso) et des Bouches-du-Rhône (Bouco-dóu-Rose). Il est également parlé en Languedoc, autour du Nimes (Nime), du Rhône (Rose) à la Vidourle (Vidourlo).
- Le maritime (prouvençau maritime) est parlé dans les parties orientales des actuels départements du Vaucluse (Vau-Cluso) et des Bouches-du-Rhône (Bouco-dóu-Rose), dans tout l'actuel département du Var (Var), dans la majeure partie de l'actuel département des Alpes Maritimes (Aup Maritimo) et dans la moitié sud de l'actuel département des Alpes de Haute-Provence (Aup de n-Auto Prouvènço).
- Le gavot, ou alpin, (prouvençau gavouot, vo aupin) est parlé dans la moitié nord de l'actuel département des Alpes de Haute-Provence (Aup de n-Auto Prouvènço). Hors de Provence, le gavot est parlé en Dauphiné dans tout l'actuel département des Hautes-Alpes (Àuteis-Aup), dans une frange sud-est de l'actuel département de l'Isère (Isero), et dans les vallées provençalophones du Piémont (Val Maire, etc.)
- Le drômois, ou dauphinois (prouvençau droumen, vo daufinés) n'est parlé qu'hors de la Provence proprement dite, en Dauphiné : majeure partie de l'actuel département de la Drôme (Droumo), c'est-à-dire le Diois et le Valentinois (la frange nord de ce département appartient au domaine de nord-dauphinois, langue franco-provençale, avec la majeure partie de l'actuel département de l'Isère), frange sud-ouest de l'actuel département de l'Isère (Isero).
Ces quatre dialectes, ressentis par leurs locuteurs comme formant une seule langue, le provençal, ne différent que par un certain nombre de mutations vocaliques ou consonantiques. Mais la morphologie et l'esprit de la langue reste partout le même. Voici quelques exemples de différences phonétiques. (La syllabe soulignée porte l'accent tonique. La diphtongue oua porte l'accent sur le a, la graphie -ch- marque le son (tch). )
- la porte : la porto (rh., dr.) - la pouarto (mar., gav.)
- il chante : canto (rh., mar.) - chanto (dr., gav.)
- aller : ana (rh., dr., mar.) - anar (gav.)
- j'attrape : agante (rh., dr.) - agànti (mar.) - agàntou (gav.)
- celui : aqueste (rh., dr.) - aquéstou (mar., gav.)
Globalement, le gavot est celui des quatre dialectes qui est resté le plus proche de l'ancien provençal. (Conservation de certaines consonnes finales, éventuellement de certains s du pluriel, etc.)
Chaque dialecte présente un certain nombre de localismes. Ainsi , par exemple, le maritime connaît à l'ouest une double diphtongaison ouo/oua (bouon/bouano), tandis que l'est ne connaît que la diphtongue oua (bouan/bouano). L'importance de ces localismes ne doit pas être exagérée. Ils permettent surtout aux provençaux de se situer géographiquement entre eux, mais n'affecte en rien l'unité de chaque dialecte, et encore moins l'unité de la langue.
Nissart et vivarois
Linguistiquement très proche du provençal, le Nissart doit être considéré comme une langue à part entière, car telle est la conscience linguistique de ses locuteurs, qui se sentent Niçois et non pas Provençaux. Voici quelques caractéristiques du Nissart.
- Article défini pluriel différent au masculin et au féminin : lu - li.
- Conservation du a final atone au féminin, devenu o en provençal : Nissa la bella, pichina (petite), etc.
- Le nissart connaît, comme l'italien, des mots accentués sur l'antépénultième syllabe.
- Le nissart n'utilise que l'adjectif possessif plein, comme l'italien : français "mon cheval", provençal moun chivau / moun cavau, nissart lou miéu cavau, italien il mio cavallo.
La graphie du nisssart est phonologique. Très proche de celle du provençal, elle est adaptée au phonétisme local. Par exemple, les mots féminins se terminant par a atone au lieu de o atone, les oxytons (mots accentués sur la dernière syllabe) terminés par a doivent porter un accent graphique en Nissart, ce qui est inutile en provençal : arribà contre arriba.
Les parlers du Vivarais (quasi-totalité de l'actuel département de l'Ardèche à l'exception d'une frange nord franco-provençalophone, et de marges ouest et sud alvernophone ou lengadophone/occitanophone) sont très proches du provençal drômois. Mais les locuteurs du Vivarais n'ayant aucune conscience de parler provençal, et ayant une conscience identitaire vivaroise très forte, leurs parlers ne peuvent être considérés que comme formant une langue autonome composée de trois dialectes, haut-vivarois, boutierot / vivarois-moyen, bas-vivarois.
Le vivarois s'écrit avec une graphie similaire à celle du provençal, avec quelques adaptations dues aux différences phonétiques.
Phonétique du provençal
L'accent tonique donne au provençal sa musicalité. Les mots peuvent être accentués sur l'avant-dernière syllabe (mots paroxytons), ou sur la dernière syllabe (mots oxytons). Dans les paroxytons, la dernière syllabe, bien qu'atone, doit être distinctement prononcée : cànti (je chante), Prouvènço (Provence), etc.
Le provençal se caractérise par une forte proportion de voyelles par rapport aux consonnes.
- Chute des consonnes finales : latin cantare > ancien provençal cantar > provençal canta, ancien provençal fuec > provençal fue, etc.
- Palatalisation des l finaux : latin castellum > ancien provençal castel > provençal castèu.
- Nombreuses diphtongues et triphtongues, groupes de deux ou trois voyelles prononcées d'une seule émission de voix. Les triphtongues ont comme voyelle tonique la voyelle du milieu : uei, ièi. Les diphtongues peuvent avoir comme voyelle tonique soit la première : èu, au, òu, soit la seconde : ié, oua. Les diphtongues peuvent, dans le mot, porter l'accent tonique : castèu (château), ou être atone : óutobre (octobre). Dans le mot óulivié (olivier) nous avons une diphtongue descendante atone, óu, et une diphtongue ascendante tonique, ié.
Graphie du provençal, et petite critique de la graphie du français
Le système provençal sinscrit dans la tendance majeure des langues romanes en général, à l'exception du français. Proche dans son esprit des graphies de l'italien ou de l'espagnol, la graphie du provençal permet de noter toutes les variations dialectales, à l'image de celle du corse. Elle est le résultat de la synthèse faite par les premiers felibre, Mistral, Roumanille et d'autres, des tendances spontanées des scripteurs provençaux. Phonologique, elle note les sons. Globalement, on écrit comme on prononce. Les règles sont simples. Un signe écrit ne peut marquer qu'un seul son, et, si un même son peut s'écrire de deux façons différentes selon son histoire, les graphies retenues doivent être simples, logiques et cohérentes, et ne retient des repères étymologiques ou grammaticaux que pour désambigüiser des homophones ou pour indiquer certaines constructions de mots dérivés. La graphie du français, elle, est essentiellement étymologique et grammaticale, introduisant une grande distance entre l'écrit et l'oral. Ce système crée à l'écrit de curieuses façons de noter les sons (-en-, -in-, -ein-, -ain-, pour noter un e ouvert nasalisé, -ai- pour noter un e ouvert, -au-, -eau-, pour noter un o fermé, etc.), conserve de nombreux marqueurs totalement inutiles, comme le ^ indiquant la chute d'un s disparu depuis belle lurette, et, fait encore plus grave, permet à un même signe de noter deux sons différents, rendant impossible la retranscription orale du mot écrit si ce mot n'est pas connu à l'avance. Ainsi, -cho- peut marquer le son (ko) ou le son (cho). Alors, une chorale ? : (koral), ou (choral), puisque chose se prononce (chôz) ? Autre exemple, la graphie -en- peut marquer le son e ouvert nasalisé, ou le son a fermé nasalisé. Alors, le -en- de rien doit-il se prononcer comme le -en- de dent ? (Essayer de lire à haute voix la phrase qui précède, et vous verrez le problème. Comment y prononcer vous "en" ? Il existe à Lyon une rue Servient, (sèrvièn) ou (sèrvian) ? ) Or, à quoi sert l'écrit, si ce n'est à transmettre à distance, dans le temps et l'espace, la parole ? L'écrit doit permettre au lecteur de retrouver l'oral, de redécoder l'écrit en oral. Un système de codage qui ne permet pas un décodage complet et certain est un mauvais système de codage. Un système de codage qui, en retenant de nombreux marqueurs écrits inutiles, en utilisant des graphies curieuses, complexes, introduit une grande distance entre l'oral et l'écrit, rendant ce dernier difficile à maîtriser, est un mauvais système. Le français est victime de son "académisation", énorme boursouflure de l'esprit qui oublie qu'une langue, cela se parle, et que les locuteurs, seuls légitimes propriétaires de leurs parlers, auront toujours raisons contre mille dictionnaires et quarante académiciens désireux de maîtriser les règles du langage pour en faire un outil de domination sociale de la bourgeoisie parisienne.
Esprit du provençal
Le provençal personnalise le discours (mi siéu pensa, je me suis pensé, traduit littéralement.), recours massivement au vocabulaire de l'action (plus de verbes concrets que de noms abstraits), présente les choses de façons imagées, vivantes, personnalisées. Le français "son attitude hautaine m'énerve" se rendra en provençal par mi limo lei nèrvi que mi regarde par dessus l'espalo, soit littéralement "ça me lime les nerfs qu'il me regarde par dessus l'épaule". Le provençal ne dira jamais soun atitudo auturouso. Beaucoup de mots qui sont vulgaires en français standard sont en provençal familiers, d'usage courant, sans aucune valeur de "gros mot". Mi fas caga n'a pas du tout la valeur vulgaire du français "tu me fais chier", et devrait presque plutôt se traduire par "tu m'ennuies, tu m'énerves". (Au passage, constatons que le mot latin uulgus, peuple, a donné naissance en français à un adjectif péjoratif, vulgaire. Quelle plus belle preuve du fonctionnement élitiste et académique du français peut-on trouver ? )
Extraits de textes
Jóusé d'Arbaud, La sóuvagino, Grasset, 1929, roman en provençal rhodanien de Camargue ; extrait.
Faudrié pas èstre Galejoun, o jamai avé cassa, pèr pas saupre quant vau lou proumetre d'uno granouio quand l'avès à pouncho de bè e que se vèi à mand d'èstre engoulido. La luno jouvo que banejo sus l'estang o lou cop de flamen que viro entre nivo, tant, d'aquéu moumen, pèr vous pica à l'amo, vous li proumetrié ; mai un cop que l'aurés bandido, sara just e just, e nimai ni mens, qu'uno granouio à la vèlo.
Felipe Blanchet, La targo, edicien Parlaren-Var, 1994, roman en provençal maritime de Sanary/Sanàri ; extrait.
Rèn de mai bèu sus la boulo dóu mounde, franc bessai dóu regard de l'amour, que d'èstre asseta sus un banc, tranquilas, sus lou port de Sanàri, e d'aluca. Mai es encaro meiou, l'estiéu, e bouon matin. Aqui, bèn tanca entre dous paumié, poudès nifla. Fai encaro proun frès pèr pas bagna camié, mai lou soulèu coumènço de vous caranchouna la pèu. Es lou cors que parlo. (...) Mai que tout, l'a 'quéu païsàgi espantant. En fàci, lou port, la mar, plan-plan, que gansaio lei batèu, e que briho au soulèu. L'aureto que fa sibla lei couardo e lei velo.
Sèrgi Arneodo, Outourn, publié dans l'Armana prouvençau 1999, poème en provençal gavot de Coumboscuro, Piémont provençalophone.
Acò es lou carleva d'uno mendìo
Que d'en primièr descuèrb soun calignaire,
De blanc, de biòi, de rous tout-sang s'abiho
Li uéi perdu dins la luenchour de l'aire.
Li fau, troupèl de fuéc, soun lano triho,
Li béulo or linde, bruso de tout caire
L'outourn chapuéi la cumbo, passo vìo
Lou temp, marca di crép luégn di chassaire.
Acò es lou carleva, que tout s'envèllo
Sus li record. Dins la lusour de l'ièro
Lou temp s'estégn, mendìo se fai bèllo,
Li fau soun fuéc... foudil, berro, gounello
Ruban tout sang... s'i crest, 'ntra cièl e terro,
Touto souleto passo uno curvello.
Jan de Coumbaniéra, L'óucèu dinc la bousia, publié dans l'Armana prouvençau 1999, texte en provençal gavot du Champsaur/Chamsour ; extrait.
Era dinc l'uvert, fasié fret à estelar les pèiras. En óucèu óu mitant dóu chami, esperavo, tout jalà. Tout pr'un còp auve lou cascavèu d'un chavau qu'arriba óu galop. Aié fret, lou paure óucèu, aié fam ; se disié : "chóudrié blèu se garar dóu mitant... "
Carlètou Malàusssena, Lou chapacan, publié dans l'Armana prouvençau 1999, texte en nissart ; extrait.
La carreta seguìa plan plan lou boulivar de Riqié... Que carreta ? Una carreta à doui roda, estirassada da una mula, una raça de gàbia ambulanta, facha à clèa, coulou gris-blu delavat. Un ome, avàrou de gest, caminava pèr davant sus l'encaladat, li doui man darrié l'esquina, mentre qu'un pouliçot la seguìa pèr darrié sus lou trotadou.
Louis Caperan-Moreno, A Madarena, publié dans l'Armana prouvençau 1999, texte en ligure de Menton/Mentan ; extrait.
Ou territòri d'a coumuna mentounasca ese spartì da quatre grane valade perpendiculàri a marina. Da levant fint'au pounent, san u ver de Mentan, de Careï, de Bourig e de Gouarbe. (...) Despuhi u tempe antigue, u mentounasque disan qu'ou ver de Mentan ese a pu bella de tout'e valade.